INFOX#6 : « Le e-learning c’est juste des vidéos de profs »
Mis en ligne le 31 mars 2020
Par Christophe Batier
E-learning : la dimension technologique de l’enseignement
Le e-learning désigne des enseignements se déroulant 100% à distance avec des modalités d’interaction synchrones ou asynchrones, médiatisées par un environnement numérique. Aujourd’hui, les outils permettant de gérer ce type de formations sont regroupés au sein de plateformes de cours appelées LMS (Learning Management System). Dans ces LMS on trouve des outils de diffusion de contenu, de communication, de suivi, de tutorat et d’évaluation.
Depuis le siècle dernier, j’accompagne les enseignants de différentes institutions dans l’élaboration de ce type de formation et je dois travailler sur la transposition de leur enseignement présentiel en dispositif en ligne. Cette expérience m’a appris que les enseignants avec lesquels j’ai travaillé se focalisaient le plus souvent sur les contenus qu’ils voulaient transmettre sans vraiment se préoccuper des tâches d’apprentissage que leurs étudiants auront à réaliser. Ainsi, j’ai souvent eu des discours du type : « pour mon cours en ligne, je vais juste mettre ma présentation Powerpoint, ou mes pdf ».
Plus récemment, depuis 6 ou 7 ans, ce discours a évolué sous l’influence du développement des MOOC (Massive Online Open Courses) pour lesquels d’une part le contenu est en grande partie sous forme de vidéos, et d’autre part la production de ces contenus vidéos est devenue relativement aisée. Finalement, il « suffit » de déposer des cours enregistrés en amphi ou en classe sur une plateforme pour qu’ils deviennent disponibles en ligne pour les étudiants. C’est ce que Claire Peltier a pu observer dans le cadre de ses travaux (Peltier, 2016).
Cette évolution de la perception du e-learning par les enseignants que l’on perçoit sur le terrain est liée aussi à l’évolution plus globale d’internet.
De façon générale, le trafic vidéo a énormément progressé pour devenir le trafic majoritaire avec 60% du trafic global d’internet en 2019.
Source : Statista
L’idée que la vidéo présente un intérêt pédagogique est aussi renforcée par le succès d’une plateforme comme Youtube et ses tutoriels pour apprendre à réparer sa voiture, démonter son ordinateur, réussir son gâteau au citron….
Mais un cours ce n’est pas un tutoriel !
En premier lieu, la durée n’est pas la même. Un tutoriel dure quelques minute, tandis qu’un cours peut se dérouler sur plusieurs heures. Le moteur pédagogique du tutoriel est le pas à pas, il se fonde sur le mimétisme. Si le geste est reproduit à l’identique, alors l’objectif sera atteint. L’objectif n’est pas l’apprentissage en tant que tel mais plutôt une réalisation qui implique l’exécution d’une procédure standardisée. Un cours mobilise quant à lui des savoirs, des notions complexes, un savoir-faire, des points de vue à confronter pour développer des compétences qui seront mises en œuvre dans d’autres contextes.
L’effet diligence ou la fossilisation des pratiques
Un effet pervers que j’ai pu observer est que, souvent, les enseignants avec lesquels j’ai travaillé, privilégient la diffusion des contenus de leur cours en produisant jusqu’à plusieurs dizaines d’heures de vidéo accompagnées quelquefois d’un nombre excessif de documents qui se traduisent alors par des Go de fichiers et par une avalanche d’information plus ou moins hiérarchisée. Ce faisant, ils oublient alors les dimensions qui relèvent de la communication, des activités, et de la prise en compte des motivations des étudiants. Les outils numériques disponibles en général, les LMS en particulier, offrent un potentiel d’innovation qui n’est alors pas suffisamment exploité. L’argument qui consiste à considérer « Je mets tout en ligne et on verra après » ne tient pas. Comme les premières voitures ressemblaient aux anciennes diligences, les premiers cours en ligne ressemblent aux cours en amphi. Marcel Lebrun qualifie ce phénomène de « fossilisation des pratiques » (2011). Le risque encouru est la production de cours en ligne qui relève d’une approche de l’enseignement essentiellement transmissive.
Dans une conférence de 2009, Pierre Dillembourg (2) avait annoncé la fin du e-learning si les LMS se contentaient de distribuer froidement des contenus sans y apporter de la vie. Il avait raison ! C’est malheureusement souvent dans un deuxième temps que les enseignants avec lesquels j’ai travaillé ont réalisé qu’ils avaient oublié de prendre en compte la nécessaire dynamique des interactions de leur cours.
Le paradoxe de la vidéo : la vidéo, ce n’est pas que du contenu
Les retours que j’ai pu obtenir de la part des étudiants sur ce type de cours montrent que ce sont les interactions et l’animation du dispositif qui font défaut. De manière plus précise, ils expriment le plus souvent un besoin impérieux de consignes claires, d’objectifs explicites, d’indications sur l’évaluation et des retours réguliers de la part de l’enseignant.
Les objectifs apparaissent parfois de manière textuelle en préambule. Mais, ils passent alors souvent inaperçus car ils sont noyés dans l’ensemble des ressources du cours. Une façon simple de les transmettre aux étudiants est de réaliser une vidéo présentant ce que l’enseignant attend de ses étudiants et comment il va animer son cours, un peu à la façon des vidéos teasers annonçant un nouveau MOOC. Mais dans ce cas, il est aussi souvent nécessaire de réaliser une vidéo présentant l’organisation du cours (3). Pour cette première vidéo, il est possible de présenter rapidement les contenus et les objectifs, et en même temps, d’expliquer l’organisation des interactions, d’informer sur les modalités d’évaluations en développant un discours susceptible de susciter la motivation des étudiants.
Généralement le cours est découpé temporellement sous forme de chapitres qui abordent des thèmes différents et qui permettent de répartir chronologiquement le travail. Une vidéo de consignes (3) introduisant chaque séquence permet alors d’expliquer ce découpage et les tâches à effectuer. Dans un LMS, ce type de vidéo peut être placé au début de la page contenant l’ensemble des activités de la semaine, du chapitre ou du thème. Les consignes peuvent porter sur l’organisation du travail, par exemple sur la constitution des groupes de travail.
Les activités proposées peuvent comprendre le visionnage de vidéos de contenus (3) produites ou non par l’enseignant car ces contenus sont peut-être déjà présents et accessibles. Le guide de 350 ressources culturelles et scientifiques francophones en vidéo peut alors être une source précieuse.
Les vidéos de débriefing (3) peuvent être utilisées au terme d’une activité d’apprentissage. Elles consistent, pour l’enseignant, à faire le bilan sur ce qui s’est passé dans le cours en s’appuyant de manière explicite sur les traces ou questions laissées sur le LMS.
Parmi les activités proposées, les vidéos réalisées par les étudiants peuvent également présenter un grand intérêt. Il peut être également intéressant, comme pour les vidéos réalisées par l’enseignant, de les offrir en accès libre à l’ensemble des étudiants du cours sur le LMS ou via un lien vers une plateforme vidéo.
Le e-learning, ce n’est donc pas que des vidéos de profs. Plus précisément le e-learning c’est n’est pas que des vidéos préparées par l’enseignant pour diffuser un contenu à apprendre. Une partie de ce type de vidéos peut provenir d’autres sources. L’usage de la vidéo peut être plus varié et plus riche car la vidéo peut être utilisée pour communiquer des informations aux étudiants, pour les motiver et pour les évaluer.
Chargé d’innovation pour l’enseignement à l’UPF et en charge de deux projets principaux : le premier autour de l’hybridation des enseignements de l’UPF et le second sur la mise en place de campus délocalisés sur les archipels de la Polynésie.
Webographie
Causerie autour du modèle IMAIP
Les nouveaux usages de la vidéo dans la formation
Dillembourg, P. (visioconférence du 06 mai 2009), Edition 2009 du Forum des T.I.C
Batier, C. Les différents types de vidéos pédagogiques.
Bibliographie
Peltier, C., (2016) Usage des podcasts en milieu universitaire : une revue de la littérature. International Journal of Technologies in Higher Education, 2-3,(13) pp. 17-35
Rétroliens/Pings